Barney Afako, un avocat ougandais, est spécialisé dans la justice transitionnelle. Il fait partie du conseil d’administration de Conciliation Resources.

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De manière inévitable, les populations confrontées à des conflits insolubles cherchent des moyens de s’extraire du cercle douloureux de la violence. Face à une guerre interminable, les décideurs ainsi que les dirigeants politiques communautaires commencent à remettre en question leur approche de la situation. Ils doivent notamment se demander si une politique de poursuite générale des combattants prolongera ou non la guerre.

Amnistie : le débat juridique

Depuis que les guerres existent, les amnisties ont toujours été utilisées pour inciter les groupes armés et les combattants à abandonner leur combat.

Toutefois, ces dernières années - avec notamment l'évolution du droit pénal international - force est de constater l’émergence de solides arguments s’opposant aux amnisties. Par exemple, les amnisties pour les crimes internationaux sont jugées contraires au droit international et il ne peut y avoir de paix sans justice. Enfin, les droits des victimes les poussent à réclamer la poursuite des auteurs des crimes, etc.

En fait, aucun traité international majeur, qui constitue la manifestation la plus claire du droit international, n’interdit expressément les amnisties. En outre, les États ont continué d'accorder des amnisties à une série de crimes. L'exemple classique est celui de l’Afrique du Sud qui a accordé l'amnistie à l'apartheid, crime incontestable à l’encontre de l'humanité.

Même les plus fervents partisans de l'abolition des amnisties admettent que (a) l’amnistie concerne certains crimes internationaux, et (b) même dans ce cas, les poursuites judiciaires devraient se concentrer sur ceux qui détiennent la plus grande part de responsabilité dans la commission de ces crimes.

De manière générale, les enfants sont exclus d’office de toute poursuite judicaire.

Le fait est qu’il n'existe pas de consensus juridique universel contre les amnisties, et la plupart des arguments anti-amnistie accorderont des amnisties à des délinquants de niveau inférieur et à des délits mineurs.

Cela revêt une signification d’ordre pratique, car ces deux catégories de personnes représentent la majorité des combattants dont la défection est essentielle pour mettre fin au conflit. Si le débat juridique est important - et continuera d’échauffer les esprits - les décideurs politiques peuvent, et doivent, se concentrer sur le sort de cette majorité d’individus.
 
Les décideurs politiques ne devraient pas se sentir acculés par le discours juridique, qui appelle à  investir dans des infrastructures de poursuite inappropriées et coûteuses. Ils devraient plutôt explorer l'éventail de moyens créatifs permettant d’assurer que la minorité des combattants est soumise à des mécanismes de responsabilité adéquats.

Historique de l’amnistie ougandaise

Durant les années 1990, après des années de conflit, le gouvernement ougandais a été confronté à ce dilemme. Les communautés touchées par le conflit ont commencé à se montrer insistantes pour qu’une loi d’amnistie soit adoptée. En effet, celles-ci y entrevoyaient la possibilité de mettre un terme aux nombreuses rébellions qui anéantissaient leurs communautés et le déroulement de l’histoire du pays.
 
Pour ces communautés, une amnistie pouvait créer un espace propice à la réconciliation, restaurant ainsi la cohésion sociale et politique au niveau communautaire et national.
Pour un pays profondément divisé, une amnistie pour les crimes liés au conflit représentait donc une première étape nécessaire pour mettre fin au conflit.
D’abord sourd à ces appels, le gouvernement de l'Ouganda a finalement cédé et examiné la question, avant de lancer les propositions d’un plan d’amnistie complet, devenu par la suite la loi d'amnistie de 2000. Dès lors, plus de 26 000 personnes ont bénéficié de l'amnistie. Elles ont abandonné la rébellion armée et sont rentrées chez elles sous la surveillance d'une commission d'amnistie. Un tel fait montre bien la pertinence de la loi en question.
 
Le 23 mai 2012, le gouvernement a retiré, de façon controversée, plusieurs clauses (la Partie II) de cette même loi d’amnistie, au motif que la guerre en Ouganda était maintenant terminée. Il n’existe, par conséquent, plus d’amnistie en Ouganda, même si en dehors du pays, la rébellion armée, notamment par l'Armée de résistance du Seigneur, se poursuit.
 
Si certains ont salué cette décision ougandaise, en y voyant enfin une promesse de justice, elle a été vivement critiquée au sein et à l'extérieur du pays, en particulier par les communautés touchées par le conflit.
 
La principale préoccupation d’il y a 12 ans redevient d’actualité. En supprimant l'amnistie, l'Ouganda prive ainsi la lutte contre la LRA d'un outil important favorisant les défections. Ce sont ces mêmes défections qui pourraient précipiter la fin du conflit et prévenir de nouvelles violences.
Dans la longue lutte contre la LRA, l'amnistie ougandaise a, sans conteste, constitué un outil efficace pour ébranler la cohésion de la LRA.
Jusqu’à 2012, les brochures rédigées en plusieurs langues ainsi que les émissions de radio diffusées au sein des territoires rebelles de quatre États ont encouragé les commandants et les combattants de la LRA à quitter la brousse. Et cela a fonctionné, comme en témoigne un flot continu de défections.

Prendre en compte la réalité d'une armée de personnes enlevées

Au-delà des bénéfices évidents que l’on peut en retirer sur le plan de la sécurité, la présence d’une amnistie pour les membres de la LRA s’est toujours justifiée par le fait que les auteurs présumés des violences dans les rangs de la LRA sont eux-mêmes des victimes. Il est difficile de trouver un seul individu au sein de la LRA qui n'ait pas été enrôlé de force et soumis à d'autres exactions graves. Au fil des ans, la réintégration des membres ainsi que d'autres hauts commandants rebelles s’avère un défi complexe. Toutefois, les communautés ougandaises continuent de le relever avec courage et succès.
 
Pour les communautés touchées par le conflit, l'offre d'une amnistie est souvent perçue comme un acte de réparation minimum d'un gouvernement, qui n’a pas réussi à protéger le bénéficiaire de l’amnistie en premier lieu.
 
Le sort de l'agresseur-victime pose un problème moral face à la condamnation générale des amnisties. Les chefs rebelles ont eux-mêmes souvent été enlevés alors qu’ils n’étaient que des enfants. Et leur captivité prolongée les mène à une vie adulte criminelle qui n’en demeure pas moins tragique.

Le défi de l'Afrique

Aussi longtemps que l'Afrique sera confrontée à des conflits insolubles, les amnisties resteront à l’ordre du jour de ses décideurs politiques et certainement sur la liste des priorités des communautés touchées par les conflits. Plutôt que d'encourager une atmosphère où les amnisties sont un sujet tabou, au mieux un sujet chuchoté, l'Afrique devrait affronter les conflits qui se répercutent sur elle de manière franche. Face à un dilemme, les dogmes n’ont pas de place. 

Entre des poursuites complètes ou une amnistie générale, le choix n’est pas aisé pour les décideurs politiques. Et la réalité est loin de cet extrême.
Correctement appliqués, les lois et les processus d'amnistie peuvent cohabiter avec des poursuites judiciaires nécessaires et d'autres formes alternatives de responsabilité et de réconciliation. Ces dernières englobent les mécanismes de justice traditionnels africains, qui continuent de fournir la seule forme de responsabilité que la plupart des communautés africaines reconnaissent et respectent.
À cet égard, la loi d'amnistie ougandaise, telle qu’édictée en 2000, a représenté - pas toujours dans sa mise en œuvre, mais du moins dans sa conception - une étape importante pour l'Afrique. Contrairement à ce que l’on croit, l'Ouganda ne dispose pas d'une amnistie générale. Et ce depuis 2006, comme le stipule explicitement un amendement de la loi, autorisant le ministre de l'Intérieur, avec l'approbation du Parlement, à exclure des individus de l'amnistie. Le ministre n'a jamais eu recours à cette clause.
 
D'autre part, la commission d'amnistie a été enjointe de « promouvoir des mécanismes de réconciliation appropriés dans les zones touchées ». Et ce afin de favoriser la réinsertion sociale des anciens combattants, par le biais d’un engagement auprès des victimes de leurs crimes ainsi qu’auprès des communautés dans lesquelles ils retournent.
 
Correctement mises en œuvre, ces clauses ont approuvé les poursuites d’individus non méritants, tout en prolongeant la réintégration de la majorité de ceux qui sont en réalité des agresseurs-victimes.

Au-delà du débat

Le débat juridique sur la portée de l'amnistie admissible se poursuivra. Mais aussi légitime qu’il soit, il ne devrait pas paralyser les prises de décisions et les réactions rationnelles face au conflit. En fait, il existe de nombreux points communs entre les partisans et les opposants aux amnisties : la majorité des combattants n’ayant pas une responsabilité particulière dans les crimes internationaux les plus graves, ne peuvent légalement ni bénéficier d’une amnistie, ni être réintégrés dans la société.
 
Cette position incontestable est particulièrement pertinente au regard du conflit de la LRA, avec ses dilemmes et ses conflits moraux. À cet égard, la stratégie régionale commune de l'Union africaine et des Nations Unies en faveur de la défection des membres de la LRA, en conformité avec les normes internationales, représente un juste équilibre.
Grâce à son approche sélective des poursuites judiciaires et l'accent mis sur la participation communautaire, la loi d'amnistie en Ouganda, telle qu'elle existait avant mai 2012, détenait tous les ingrédients nécessaires à la promotion de la responsabilité et de la réconciliation. La région devrait prendre exemple sur le contenu de la loi d’amnistie ougandaise.
Les lois d'amnistie sur mesure continueront d'être un élément essentiel de toute stratégie visant à encourager la réintégration politique et sociale des personnes impliquées dans la rébellion armée en Afrique.
 
Pour parvenir à résoudre le conflit de la LRA et à s’en sortir, l'Ouganda doit conserver une action officielle, au-delà du recours à la force et aux poursuites judiciaires, qui comprenne la complexité et cherche à répondre aux besoins des victimes de tout profil.

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