• Jenny Norton a travaillé en Ouganda avec des partenaires locaux désireux de mettre en place leur propre média communautaire grâce à un atelier de formation.

La tâche qui nous attendait était claire. Deux formateurs du Royaume-Uni, ainsi que des équipes provenant de quatre pays d’Afrique orientale et centrale ont eu cinq jours pour réaliser un bulletin d'informations, en français et en anglais, sur le conflit de l’Armée de résistance du Seigneur.

Nous avons d’abord présenté un modèle vierge sur un ordinateur portable. Nos équipes locales avaient de nombreuses idées de reportages. Nous n’avions plus qu’à décider exactement quel type de contenu trouverait un écho auprès d’un public cible  composé de personnes très différentes vivant dans des pays et se faisant une idée, tout aussi différents, de l’utilité d’un tel bulletin d'informations.

Alors que nous nous rassemblions sur le lieu choisi pour la formation (un hôtel sur les rives du lac Victoria en Ouganda), j’ai commencé à réaliser que le seul fait d'arriver ici relevait déjà de l’ordre du défi pour de nombreux participants. Nos huit heures de vol direct depuis Londres paraissaient bien insipides par rapport à ces longs trajets en bus, sous la chaleur et dans la poussière, avant d’emprunter des compagnies aériennes locales peu fiables.

Ces récits de voyage mettent en évidence l'une des raisons pour lesquelles ce conflit se révèle si ardu. La LRA opère en effet dans des zones très reculées, loin des grandes villes, des capitales, des infrastructures routières dignes de ce nom et des systèmes de communication.


Les représentants du gouvernement ne se rendent que rarement, voire jamais, dans les régions touchées. Il faut donc sans cesse se battre pour les intéresser à ce problème.

 
Suivre les activités de la LRA

Des membres du Groupe de travail régional de la société civile, un réseau d'organisations locales issues des quatre pays touchés par la LRA (Ouganda, République centrafricaine (RCA), République démocratique du Congo (RDC) et Sud-Soudan, qui vient d’acquérir son indépendance) nous ont également aidés.

Ce groupe travaille avec les communautés locales dans les zones où la LRA opère et il parle en leur nom. Il surveille les mouvements et les activités de la LRA, prévient si possible les populations d'attaques imminentes et aide à la reconstruction des vies brisées suite aux terribles conséquences de la violence.
 
Alors, que pourrait apporter un bulletin d'informations ?, avons-nous demandé dès le premier jour du cours. Les équipes avaient des réponses claires et précises. Et ce sont les histoires de trois personnes impliquées dans le conflit qui les illustrent le mieux.

Faire que les expériences des populations locales comptent

Le Père Ernest Sugule est un prêtre catholique de la ville de Dungu, dans le nord-est du Congo. Il rédige des rapports mensuels en dénombrant avec soin le nombre d'attaques, de meurtres et d’enlèvements de la LRA dans sa région. Il enregistre également le nombre de personnes qui ont réussi à échapper à la LRA et à rentrer chez elles.

Le Père Ernest et son équipe s’entretiennent souvent avec les populations de villages reculés, situés bien au-delà de la portée des troupes de la Mission de l'Organisation des Nations Unies pour la stabilisation en République démocratique du Congo (MONUSCO) qui opèrent dans la région. Les chiffres du Père d'Ernest, associés aux informations du même ordre dans les autres zones touchées, pourraient être extrêmement utiles à l'ONU et à l’Union africaine, ainsi qu’à tous les représentants des gouvernements et aux diplomates internationaux qui tentent de faire face au problème de la LRA.

Partager le fardeau

Tatiana Viviane Ozojiri, de la République centrafricaine, a un sourire chaleureux, malgré les histoires d'horreur qu’elle entend tous les jours. Elle travaille avec les communautés touchées et aide les personnes enlevées par la LRA à se réinsérer dans leur ancienne vie. Une tâche difficile.
 

Les jeunes filles sont systématiquement violées et reviennent avec des bébés dont leur famille hésite à s'occuper. Les jeunes hommes retournent chez eux après avoir appris à tuer et restent traumatisés par ce qu'ils ont vu et ce qu’ils ont fait.
 

Pour Tatiana, il est important que ces personnes racontent leurs histoires et que celles-ci soient enregistrées et partagées afin que les familles et les communautés n’aient pas l’impression d’être les seules à faire face à ces problèmes.

Diffuser le message concernant les solutions pacifiques

Le Père Mark Kumbonyaki est originaire de l'État d’Équatoria-occidental, au Sud-Soudan. Il a récemment participé à une réunion de haut niveau sur la LRA dans la nouvelle capitale, Juba. Avec d'autres groupes de la société civile, le Père Mark a parlé non seulement de l'impact dévastateur de la LRA sur les communautés locales, mais également de la nécessité de trouver des solutions pacifiques au conflit.

Les problèmes du Sud-Soudan avec la LRA n'ont réellement débuté que suite à la médiatisation internationale des pourparlers de paix et après que les armées ougandaises et congolaises ont lancé une grande opération militaire à l’encontre de la LRA.
 

Face à l’accentuation des attaques militaires, la LRA s'en est prise aux civils locaux, déclenchant ainsi une campagne d’une violence extrême et systématique.
 

Selon le Père Mark et ses collègues, il ne s’agit là que d’un exemple illustrant la complexité du problème de la LRA. Pour le résoudre, les décideurs politiques et les commandants de l'armée devront chercher d’autres solutions que de simples solutions militaires et collaborer avec les populations locales de tous les pays touchés. Et ce afin de trouver des moyens pacifiques à long terme qui permettraient de mettre fin à la violence.

Définir un objectif et mettre en place le programme

Notre bulletin d’informations devait donc comporter trois volets principaux. Le premier devait faire état de la situation sur le terrain et le second, se concentrer sur les histoires humaines qui se cachent derrière les statistiques. Enfin, le troisième devait observer la façon dont les groupes de la société civile travaillent pour attirer l'attention sur le problème et appellent à des solutions pacifiques.

Pour chaque volet, nous avons rédigé des articles en différents groupes. Agglutinées autour des ordinateurs portables, les équipes discutaient avec passion de l’angle des articles et recoupaient les faits et les chiffres. On travaillait durant les pauses thé et on continuait tandis que le soleil se couchait sur le lac. Alors que la nuit tombait, des nuées de moucherons entraient en pullulant par les fenêtres ouvertes et voletaient autour de nous.

Contourner les barrières linguistiques

Le bulletin d’informations prenait forme mais une grande question me tracassait. Je voyais bien comment les responsables gouvernementaux, les diplomates et les soldats de la paix accéderaient à toutes ces informations via l'Internet. Mais en quoi le bulletin d’informations pourrait être utile à des gens ordinaires vivant dans des villages reculés en pleine brousse ?

La réponse était simple : les articles seraient traduits dans les langues locales. Ils y seraient lus et discutés lors des réunions villageoises et à la radio locale.

Tous les membres du Groupe de travail régional qui ont participé au bulletin d’informations utilisent la radio comme un moyen clé d’atteindre les communautés locales. Il semblerait également que la LRA écoute les stations de radio locales et que les histoires de personnes enlevées et rentrées chez elles, sans qu’elles ne fassent l’objet de représailles, aient encouragé de nombreux jeunes hommes et femmes à s'enfuir.

Rendre l'information accessible aux communautés locales

Si le bulletin d’informations devait être traduit et diffusé à la radio, il était important de garder la langue aussi simple et directe que possible.

La simplicité était également de rigueur dans le format que nous avons utilisé. Nous avons opté pour un document Word de base, à la fois esthétique et compatible avec les ordinateurs utilisés par nos partenaires, mais également facile à envoyer par courriel dans une région où le débit Internet est très lent.

Il ne nous restait plus que le titre à choisir. Nous avons divisé nos équipes en trois groupes et deux d’entre eux sont parvenus exactement à la même idée : La Voix de la Paix.

Pour un petit bulletin trimestriel dont les rédacteurs vivent à des milliers de kilomètres les uns des autres, c'est un grand nom auquel il faut nous montrer à la hauteur. Et pourtant, en l'espace de cinq jours en Ouganda, nous avons réussi à sortir notre premier numéro en février.

Nous avons prouvé que nous pouvions le faire. Et dans les prochains mois, tout le monde fera de son mieux pour que La Voix de la Paix continue à s’exprimer en toute franchise et que son message soit clairement entendu dans la région.

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